C’est d’actualité, tout le monde ne parle plus que de ça, l’Intelligence Artificielle, un changement majeur, une révolution. Certains se voient déjà en Spielberg du prompt, alors que d’autres crient au loup et alertent sur la disparition des artistes. Qu’en est-il vraiment ? Je ne vais parler ici que de mon ressenti, car comme tout le monde je me sens dépassé par les évènements.
C’est d’ailleurs la première chose qui me choque : « si tu ne prends pas le train en marche, tu es mort ». Cette phrase, je l’entends dans tous les colloques, les webinaires, les podcasts. Comme le passage de l’argentique au numérique, soit tu es pour, soit tu es contre. Je vois des « Maîtres Jedi » du prompt faire la leçon aux professionnels qui pratiquent depuis plus de 30 ans. Et c’est là qu’il y a quelque chose qui cloche : si tu n’utilises pas l’IA, tu es contre elle, contre le progrès.
1 – Intelligence Artificielle contre intelligence humaine
D’abord étudions la sémantique : doit-on vraiment parler d’intelligence ? Peut-on comparer l’IA à l’intelligence humaine ? Il me parait claire que non. L’IA est dénuée de conscience, et ça devrait mettre un terme à la discussion. Mais qu’est-ce vraiment la conscience me direz-vous ? Et nous voici parti dans des considérations philosophiques qui permettront à chaque instant de remettre une pièce dans le cochon. Cette définition floue de l’intelligence est déjà un problème en soi.
Pour l’instant tout le monde est d’accord pour dire que l’IA est un outil formidable. Mais elle doit être utilisée en complémentarité de l’intelligence humaine. L’IA analyse, traite, prend des décisions, l’intelligence humaine interprète et prend en compte les facteurs émotionnels. Car toute la différence est là : l’émotion, faculté propre et exclusive d’une conscience humaine.
2 – Créativité contre standardisation
Revenons au thème qui nous préoccupe, celui du rôle des artistes, et leur apport à la création. Une problématique que je pourrais résumer par une question toute simple : comment provoquer de l’émotion chez le spectateur, si on n’en éprouve pas soi-même ?
Essayons donc d’être visionnaire et écrivons un scénario de science-fiction. L’IA se développe de façon exponentielle, elle écrit les scénarios, génère les voix-off, compose la musique. Il n’y a plus de compositeurs, de comédiens. Les scénaristes et les réalisateurs jettent l’éponge, et se mettent à apprendre l’art subtil du prompt pour pouvoir payer leurs factures.
Faire un film, une vidéo, n’a jamais été aussi bon marché. Une ligne de prompt, et on a son film tout prêt pour la séance cinéma du samedi soir.
Tous les films commencent à se ressembler, l’émotion est standardisée. On se surprend à deviner la fin dès les premières minutes. Comme au fast-food, on est rassasié sur le moment, mais il y a comme un manque, et on a encore faim une heure plus tard.
Voici un teaser du soi-disant premier film généré entièrement par l’IA :
Si on fait abstraction du rendu froid et quelque peu inquiétant des visuels, on remarque déjà les pires clichés du cinéma d’action indien.
Alors oui, l’IA va s’améliorer, les rendus aussi. Mais si plus personne n’invente de nouvelles histoires, ou de nouvelles façons de raconter des histoires, si chaque artisan, décorateur, chef-opérateur n’apporte plus sa sensibilité et son point de vue, tout ceci va tourner en rond. L’IA se nourrit de ce qui existe déjà, et elle finira par se nourrir d’elle-même.
Donc la question à se poser est la suivante : voulons-nous d’une culture standardisée et bon marché, ou voulons-nous garder cette particularité du savoir-faire humain : surprendre et émouvoir ?
3 – L’IA est, et doit rester, un outil
Attention, je ne dis pas que l’IA, c’est le mal. C’est un outil formidable, elle me permet de gagner du temps sur mon étalonnage, d’améliorer la gestion du bruit vidéo sur mes films. Mais c’est un outil. Je ne lui demanderai pas d’écrire un scénario à ma place pour gagner du temps et être moins cher que mes concurrents, car je veux garder la main sur la partie créative.
Voici une image que j’ai obtenue grâce à l’IA générative. Je m’en suis servi pour présenter un projet de long-métrage. C’est un concept pour un monde virtuel froid et aseptisé. L’IA a donc été ici très compétente pour illustrer mon propos 🙂.

Pour l’instant l’IA ne crée pas l’émotion, elle la simule à partir des milliards de Téraoctets d’information qu’elle peut compiler à chaque instant. Et s’il y a de l’émotion, c’est généralement qu’un être humain reste aux manettes, qu’il agence les plans entre eux, qu’il sélectionne la bonne musique, qu’il apporte sa sensibilité. Un humain qui se sert de l’IA comme outil au service de sa vision.
Au final, la bonne question à se poser est de savoir ce que nous voulons faire de l’IA. Peut-être qu’un jour, elle gèrera tout à notre place. Peut-être même qu’elle pourra penser à notre place, et nous laisser ainsi profiter de ce temps de cerveau disponible pour les choses les plus futiles. Soyons fou, une conscience pourra peut-être même émerger de ces algorithmes toujours plus complexes. Le voulons-nous vraiment ? Moi non, car cela voudrait dire que nous n’avons plus vraiment notre place. Reléguer toutes les tâches à l’IA, même les plus élémentaires, et il ne restera de nous qu’une coquille vide sans âme, sans libre arbitre, qui passera son temps à consommer.
A noter que j’ai joué le jeu de l’IA pour l’image d’illustration de cet article : une jeune fille qui pleure d’émotion devant un film au cinéma. Comme une mise en abyme, en quelque sorte 😉